Entretien avec Lyonel Trouillot dans Libération

À propos du manque de souveraineté réelle:

« Au-delà du caractère corrompu du gouvernement qui impose son candidat, un conflit s’est installé entre la population haïtienne et «l’international» : Union européenne, Etats-Unis, ONG, bailleurs internationaux. C’est la première fois que les Haïtiens expriment un rejet massif de ce diktat sur la réalité haïtienne. Quand vous avez des diplomates qui vous disent : «Voilà, il y aura un second tour entre untel et untel, et ça sera ainsi et pas autrement», le pays ne peut que constater qu’il n’est plus un pays, et que le déni de souveraineté est acté. Même les partis politiques locaux disent : «Mais c’est impossible d’élire un homme nommé d’avance.» L’empressement des forces étrangères à continuer cette parodie est humiliant et détestable. Laisser Haïti reprendre la main sur ses affaires, c’est reconnaître la faillite des systèmes des aides, ces béquilles imposées par l’international. Ce pays est depuis dix ans sous pilotage de la communauté internationale. Cette dernière a imposé des élections après le tremblement de terre alors que les Haïtiens avaient évidemment d’autres urgences. Ce qui serait amusant, c’est que les citoyens européens interrogent leurs propres gouvernants : pourquoi avoir mis en place des élections à marche forcée dans un pays de 300 000 morts ? Pourquoi imposez-vous une élection dont vous connaissez déjà le vainqueur ? En fait, il s’agit de l’imposition de l’apparence de la démocratie à Haïti. »

Sur le rapport avec la France et le français:

« Envers la France, et pour des raisons historiques, notamment de la part des intellos haïtiens, il existe une relation amicale qui tient en vertu des humanités partagées. Or aujourd’hui, on sent qu’il n’y a plus cet élan de fraternité vis-à-vis même de la France. Le doute s’est installé. Du côté populaire, c’est très différent. Il y a évidemment un passé colonial, mais surtout dans l’héritage laissé par la langue. Or, la langue est celle de l’élite, de la bourgeoisie, des dominants. Quant au locuteur créolophone, qui ne connaît pas le français, il voit la langue comme un outil qui l’empêche de s’exprimer. L’image de la France paye le prix de ses crimes historiques et le prix des crimes économiques commis par l’élite haïtienne qui parle… le français. La langue française est vue alors comme un outil de domination. »

Et enfin sur la signification politique des églises évangéliques:

« Les églises évangéliques sont la plus grande catastrophe morale qui est tombée sur Haïti. L’individu est de moins en moins un citoyen : il est un frère en Christ. »

Lisez l’ensemble de l’entretien ici: http://www.liberation.fr/planete/2016/01/22/lyonel-trouillot-en-haiti-nous-n-avons-pas-la-maitrise-de-notre-pays_1428402

France-Antilles: La presse sous influence

Télérama publie ces trop courts extraits d’un entretien avec le réalisateur Martin Courcier dont France Ô diffuse actuellement le documentaire Histoire des médias sous influence.

Ma recherche m’a moi-même permis de prendre la mesure du control de l’information en Guadeloupe. En effet j’ai pu feuilleter tous les numéros de France-Antilles Guadeloupe des années 1960 au années 80 disponibles aux archives départementales. J’ai été très choqué de voir à quel point le journal ignorait les troubles sociaux et les mouvements politiques qui ont marqué cette époque. Lire France-Antilles et le journal indépendantiste Ja Ka Ta côte-à-côte, on a l’impression de deux mondes parallèles: l’un dédié à une lutte anticoloniale, l’autre obnubilé par les accidents de la route et les concours de beauté. Un qui s’inquiète des effets de l’arrivée des containers sur l’emploi guadeloupéen, l’autre qui fête l’atterrissage des premiers avions à réaction qui permettent l’arrivée d’encore plus de touristes.

France-Antilles a passé au silence les courants autonomistes et indépendantistes pendant plus de trente ans. Mais ce silence ne s’arrête pas là. Même aux archives, les pages consacrées aux événements phares de cette période — comme le massacre de Mai 67 — ont été arrachées ou les numéros manquent à la collection. Ainsi, c’est tout un pan de l’histoire guadeloupéenne qui est effacée.

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